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Droit et politique sous les décombres de Gaza

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Depuis les attaques du 7 octobre et la guerre de Gaza, la réputation du droit international est de nouveau mise à mal. Les milliers de morts civils montrent l’impuissance du droit humanitaire à réguler l’usage de la force face à l’impératif militaire. Cette frustration fait elle-même écho aux autres violations du droit commises par Israël dans les territoires palestiniens dont les plus flagrantes restent l’occupation et la colonisation progressive des territoires palestiniens. Pourtant le droit international n’est pas un outil auto-réalisable et sa violation n’est que le symptôme d’une politique de mépris devant laquelle tout s’incline.

Un droit de la guerre complexe…

droit et politique sous les décombres de Gaza
Le nord de Gaza en ruines

Lors de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les avis de juristes de toute part concordaient : cette invasion contredisait la Charte des Nations unies et donc le droit international. Ce consensus se perpétua également dans l’ensemble concernant les accusations de crimes de guerre commis par la Russie durant le conflit. Aujourd’hui, ce front commun face a la guerre russo-ukrainienne apparait comme une exception aux vues des divisions que provoque le dernier épisode du conflit israélo-palestinien. Bien qu’il soit tentant d’accuser la communauté juridique de partialité, la raison de cette dissonance résulte en fait, en partie, de la complexité juridique de cette guerre. Sa classification est problématique pour au moins deux raisons. La première concerne le statut de la Palestine en tant qu’État. Bien que 123 États aient reconnu la Palestine comme leur pair, 70 autres s’y opposent toujours. Deuxièmement, même si la Palestine était considérée comme un État, il reste difficile de faire du Hamas son émanation politique. Bien qu’il fût le vainqueur d’élections à Gaza en 2006, le Hamas ne représente pas le peuple palestinien sur la scène internationale. Cette fonction est réservée à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas depuis son siège de Ramallah en Cisjordanie. Ces deux entités étant de surcroit en conflit ouvert, il serait également de mauvaise foi de qualifier le Hamas d’agent, ou de bras armé, de l’Autorité Palestinienne.

Pourtant, la qualification juridique du conflit demeure cruciale afin de déterminer le pan du droit humanitaire applicable. En tant que conflit international, cette guerre verrait la pleine application des quatre Conventions de Genève. Dans le cas contraire, seul l’article 3 commun aux quatre Conventions s’appliquerait puisque Israël n’a pas ratifié le Protocole additionnel de 1977 relatif aux conflits armés non internationaux, chargé d’étoffer la protection des personnes en temps de guerres civiles ou autres conflits internes.

…Qui apporte tout de même des garanties

Naturellement, entre deux conceptions possibles du droit, les belligérants choisissent toujours celle qui les embarrasse le moins et cette guerre ne fait pas exception. L’article 3 constitue donc le seuil minimal de protection accordé aux non-combattants et soumet les puissances combattantes au principe d’humanité, les obligeant, entre autres, à soigner les blessés et malades et à renoncer à la torture, aux exécutions et autres traitements dégradants ainsi qu’aux prises d’otages. À ce droit écrit dans les traités, s’ajoute les règles coutumières du droit humanitaire que sont les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité. En accord avec ces principes, les belligérants doivent distinguer civils et combattants et donc éviter les frappes indiscriminées ou les punitions collectives, prendre les précautions nécessaires afin d’éviter les morts civiles inutiles et, lorsque les dommages collatéraux sont inévitables, renoncer aux attaques ayant un effet disproportionné sur les civils par rapport aux gains militaires potentiels.

De plus, Israël est depuis 1967 une puissance d’occupation des territoires Palestiniens. Le départ des forces terrestres de Tsahal de la bande de Gaza en 2005 n’y change rien puisque Israël maintient un contrôle étroit de Gaza et son approvisionnement à travers sa maîtrise des frontières, de l’espace aérien et de l’espace maritime de la bande. Dès lors, Israël est aussi dans l’obligation de subvenir aux besoins vitaux de la population de Gaza, notamment à travers son ravitaillement en nourriture, eau, médicaments et pétrole indispensable au bon fonctionnement des hôpitaux.

Une faillite politique symptomatique

Si ces règles constituent donc un cadre juridique minimal, il est clair qu’elles restent vagues et leur interprétation soumise à l’impératif militaire. Le contexte urbain et la présence de civils servant de camouflage au Hamas a pu justifier un nombre important de dommages collatéraux. Néanmoins, après plus de 14 000 morts civiles, les faits attestent chaque jour un peu plus de la disproportion de la réponse israélienne. Si l’éradication du Hamas a pu justifier l’intervention militaire, chaque bombardement d’ambulance ou de camp de réfugiés soulève la question de la proportionnalité et, plus loin, interroge sur les objectifs au long terme de l’État hébreux. Non seulement l’argument du « plus jamais ça » justifiant l’idée que cette guerre, et ses morts, préviendrait de futures attaques et donc de futures victimes, devient de plus en plus difficile à tenir face à l’immensité des pertes actuelles. Mais en plus, il ignore et répète les erreurs qui ont mené à la radicalisation d’une partie de la population palestinienne. Comme a pu l’exprimer le secrétaire général des Nations unies, aussi horrible soient-elles, les attaques du 7 octobre sont le symptôme d’un désespoir et d’une haine ancrée dans la population palestinienne. La radicalisation du gouvernement de Netanyahou au plan interne, et l’apparent abandon de la cause palestinienne par les pays arabes au plan externe, ont probablement été des facteurs menant aux attaques. Et cela, malgré les risques, désormais avérés, de réplique implacable.

Au-delà de l’éradication du Hamas, nombreux sont maintenant les pays à rappeler la solution à deux États afin de briser le cercle de haine ayant mené à la tragédie actuelle. Cependant, la conduite de la guerre, associée aux déclarations des responsables politiques, donne plutôt l’impression qu’Israël entend briser ce cercle en écrasant tout simplement l’autre partie du problème. Des propos du Président, accusant la population civile de Gaza de complice du Hamas, à l’usage de la famine contre la ville entière, en passant par l’idée de relocaliser les gazaouis dans le désert du Sinaï ; les inquiétudes de génocide n’ont jamais été aussi grande. Même si une telle issue reste encore lointaine, ces propos s’ajoutent à la longue liste de griefs rendant la paix toujours plus difficile à atteindre. Si le présent objectif d’élimination du Hamas et de sauvetage des otages est compréhensible, l’opération court le risque d’être contreproductive si elle engendre une nouvelle génération de palestiniens en soif de revanche. Pour rendre la paix possible, Israël, en tant que partie forte du conflit, devra apporter de réelles perspectives politiques aux sept millions de palestiniens de la région et non des promesses d’éradication.

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